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Le jour où… J’ai pris le temps de vivre à Madagascar

Publié le 28 février 2011

Aventuriers réunionnais de la mobilité, Nirina et Rodolphe font le tour du monde depuis quatre ans sans réel budget. Ils nous racontent leur voyage dans une série d’articles. Episode 20 : "Le jour où… J’ai pris le temps de vivre à Madagascar". Loin du stress et du mode de vie occidental, Rodolphe apprend malgré lui la patience et à ouvrir les yeux sur les beautés environnantes.

copyright : Rodolphe Sinimalé

Journal des aventuriers, Madagascar – Aout 2006 :

Mardi – 19h00. « Vous devez être là à 6.00 demain ! » m’annonce, sourire aux lèvres et regard malicieux, notre ami malgache.

« 6.00… du matin ? » j’avance presque naïvement.
Haja (son prénom veut dire… « Respect », cela ne s’invente pas) se redresse promptement et prend une posture quasi-autoritaire :

« 6.00 exac-te-ment ! Misaotra, veloma ! (« Merci, au revoir », en malgache) ».

L’homme s’enfonce dans une ruelle de terre et de boue, puis disparaît derrière un immense et magnifique ravenala vert et poétique. Toamasina – plus connu sous le nom de Tamatave – est devenu soudainement si calme qu’on jurerait que le temps vient de s’y arrêter, si ce n’était le chant joyeux d’une famille d’hirondelles de rivage, dansant langoureusement sur une longue branche filiforme et grise d’un pandanus royal. Accompagnés par les flots du canal des Pangalanes, nous regagnons donc en musique notre hôtel d’un pas mou, peu excités à l’idée de devoir nous réveiller à 5 heure du matin.
Tout en haut, le ciel rougit de voir le soleil s’en aller si rapidement…

Quelques heures plus tard – quelques heures trop tôt ! - le lendemain – 5h00

Le réveil, sonore et insolent, sonne la charge. Nirina est, comme à l’accoutumée, prête en 10 minutes chrono. Je reste cloitré sous les draps quand quelques rayons de soleil chauds et délicats viennent séduire mes paupières, qui s’ouvrent instantanément. Lorsque nous mettons les pieds dehors, c’est un flot extravagant d’hommes, de femmes et d’enfants qui déferlent dans le jour nouveau. Nous arrivons à la gare routière à 6.00, prêt à embarquer pour une aventure australe de 350 km sur la sinueuse et magnifique RN2. Des passagers en provenance des villages alentours sont déjà là, attendant leur navette, en route vers le destin. Dieu seul sait à quelle heure ils sont arrivés ! Trois volailles multicolores et impatientes guettent. Un chien noir et maigre dort profondément, insensible aux incessants va-et-vient des camions citernes. L’odeur du port – puissant mélange de marée, de gasoil et de ferraille - s’élève et s’impose doucement et surement sur la ville.

Mais de Taxi-brousse, point.

copyright : Rodolphe Sinimalé

7.00.
Les mots de notre ami malgache tournent en boucle dans ma tête depuis un bon quart d’heure, et j’ai le plus grand mal à me défaire de la vision de mon oreiller ardent et trop vite abandonné. Le soleil chauffe déjà tellement que je transpire à grosses gouttes, et l’air humide et lourd s’installe pour de bon. Personne ne semble s’inquiéter outre mesure du retard de notre convoi, ni même Nirina. Personne sauf moi, qui fait les cent pas pour tenter d’échapper au brouhaha incongru et intransigeant de ma pensée fractionnée.
« Mais bon, qui sait ce qui a pu se passer ? » je murmure doucement, comme pour me rassurer.

8.00
Le taxi-Brousse arrive enfin ! Avec à son bord notre ami rieur et un conducteur content dont je ne saurais dire s’il a 14 ou 16 ans, mon sourire de façade disparaît aussitôt et je laisse exploser ma joie. Et c’est tout en sueur et passablement excédé par la longue attente que je m’enquiers de la raison de ce retard. Les deux compères ne semblent pas du tout comprendre ma question, et encore moins les raisons de mon énervement…

Ils rigolent franchement puis s’en vont acheter des brochettes grasses et dorées. Personne n’a bougé si ce n’est l’une des volailles, qui picore interminablement un morceau de ficelle vulnérable. Nirina reste concentrée sur les lointaines brochettes, tandis que des passagers aux traits enjoués déplacent mollement chacun leur tour les pions d’un jeu de dames improvisé.

8.45
Nous sommes toujours en train d’attendre… Attendre quoi ? Je n’en sais strictement rien ! Il y a pourtant une flopée de passagers à ma droite, un taxi-brousse à ma gauche, une route qui tente de nous séduire et nous sourit désespérément... Mais dans cette équation parfaite subsiste une inconnue majeure qui m’échappe. Je sue de chaleur et de colère, tandis que tout le monde autour sourit et semble apprécier le temps qui passe, cette inexorable et douce complainte de la nature éphémère de toute chose.
De tout, sauf de ma colère.

"Nous sommes toujours en train d’attendre... Attendre quoi ? Je n’en sais strictement rien !"

9.30
J’entends un cri de joie, au loin ! Un homme vient de retrouver son porte-monnaie. Le chien assoupi sursaute, me regarde et sourit, puis s’en retourne dormir aussitôt. J’ordonne à Nirina de retourner à l’hôtel avec moi, qui refuse net. Elle semble être en possession de quelques savoirs secrets qui m’échappent totalement, moi, le citoyen européen et citadin pressé. J’ai la tête qui tourne et le cœur qui s’emballe. L’impatience me ronge depuis de trop longues heures et une multitude de noms d’oiseaux manquent de s’envoler de ma bouche sèche. Les malgaches, eux, plaisantent les uns des autres et surtout de moi.

10.45
Je ne sais si mes prières ont été entendues par un Dieu généreux et moqueur, mais nous embarquons enfin dans la petite camionnette : 10 personnes, trois volailles et le chien.

Par la fenêtre à demie-ouverte mais bloquée, j’aperçois des enfants qui jouent avec une vieille canette rouge et noire, toute rouillée. D’immenses nuages de poussières s’élèvent au dessus de leur petite tête, mais je discerne parfaitement la beauté magique de leurs sourires immaculés et de leurs rires innocents.

Et là, je réalise soudainement.
Je saisis la folie de mon comportement, la futilité de mon impatience, ma colère irrationnelle et vaine ! Je suis un voyageur chargé par le fardeau de « sa » culture, submergé par le courant de « ses » valeurs, débordé par lui-même !

« Comment pourrais-je jamais m’ouvrir au Voyage et au Monde si je reste si attaché à mes propres idées ? »

copyright : Rodolphe Sinimalé

« Il n’y a d’homme plus complet que celui qui a beaucoup voyagé, qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie » a affirmé, novateur et inspiré, Alphonse de Lamartine, durant son célèbre Voyage en Orient.

Les mots du poète résonnent dans mon cœur et colorent mon âme. J’inspire profondément et je vois, comme pour la première fois, la noblesse et la magnificence du temps qui passe… Quel poème !
A mes cotés, Nirina s’est endormie. Le pelage chaud et doux de notre ami canin me caresse les pieds et me rassure. Le paysage défile, tel une fresque tropicale et romantique… ».

Lire aussi :
Aventuriers réunionnais de la mobilité : ils font le tour du monde…
- Episode 1 : Le jour où... Nous avons traversé le Japon sans un rond
Episode 2 : Le jour où… Nous avons fêté l’Independance Day à Chicago
- Episode 3 : Le jour où… J’ai fait une retraite dans un monastère bouddhiste thaïlandais
- Episode 4 : Le jour où… Nirina a fêté son anniversaire au Mont Cook en Nouvelle Zélande
- Episode 5 : Le jour où… Nous avons conduit un scooter à Saigon
- Episode 6 : Le jour où… Nous avons appris à faire des pizzas en Italie
- Episode 7 : Le jour où… Nous avons partagé des gâteaux dans la rue à Barcelone
- Episode 8 : Le jour où… J’ai dormi chez un chauffeur de taxi en Inde
- Episode 9 : Le jour où… Nous avons rencontré un couple de Réunionnais en Australie
- Episode 10 : Le jour où… Nous nous sommes faits arrêter par une fausse milice à Madagascar
- Episode 11 : Le jour où… Nous nous sommes faits arrêter par une fausse milice à Madagascar 2/2
- Episode 12 : Le jour où… J’ai rencontré ma famille mondiale (1ère partie)
- Episode 14 : Le jour où… Nirina partagea un moment lyrique
- Episode 15 : Le jour où... j’ai rencontré le maître de méditation américain Alan Wallace
- Episode 16 : Le jour où… J’ai visité le PIA Mind Centre en Thaïlande
- Episode 17 : Le jour où... j’ai rencontré Matthieu Ricard, moine bouddhiste et écrivain
- Episode 18 : Rodolphe et Nirina : plaidoyer pour le sourire
- Episode 19 : Le jour où... J’ai fait goûter le gâteau patate partout dans le monde
Aventuriers réunionnais de la mobilité : l’heure du retour
Les secrets du voyageur : sourires, réseaux et partage
Rodolphe et Nirina, l’interview

Joindre Rodolphe et Nirina : [email protected]


Rodolphe Sinimale is a traveler, meditation teacher and writer.
In 2006, he left his position and sold out every little thing to focus entirely on the spiritual path. His search has led him all over the world - from Madagascar to Vietnam, from New-Zealand to Japan, from USA to Thailand – in order to learn, to give and to share.

Rodolphe Sinimale holds a M.B.A in Human Resources Management, from the Paris Graduate School of Management, France.

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