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Tour de la Nouvelle Calédonie à pied : récit d’un KAF YAB

Publié le 3 octobre 2011

Christophe Barret a entrepris un tour de la Nouvelle Calédonie en avril 2011 avec la Ligue contre le cancer. Il nous compte cette aventure humaine et sportive de 31 jours, teintée de poésie et de spiritualité.

Tour de la Nouvelle Calédonie à pied : récit d’un KAF YAB
Le départ à la Fontaine Céleste à Nouméa.

Le samedi 23 avril à 5H du matin, je me lançai dans ce projet préparé depuis 2 ans. Je
prenais donc le départ à la place des cocotiers, centre de Nouméa , vers le Nord par la
Route Territoriale N°1.
Le corps était vaillant les cinquante premiers Km mais les dix derniers furent quand
même une épreuve, me donnant une idée assez claire de ce qui m’attendait tout au long
du périple. Je suis arrivé le soir à 18H au halo de ma frontale, après une douche et une
petite lessive, je me couchais à 19h45, pour repartir dès trois heures le lendemain car
j’avais à parcourir le 2e jour, 68km.

Les ampoules avaient commencé à germer sous mes pieds dès la veille, et le mordant des
graviers du bitume avait aussi commencé son oeuvre. Aussi, le deuxième jour je me
contentai d’une cinquantaine de km, pour arriver chez mon hôte à 14H30 les pieds tous
meurtris avec de flambantes ampoules toutes percées enfilées et aseptisées pour repartir
à 5h au matin du troisième jour, où après une cinquantaine de Km parcourus, j’ai été
agressé par un jeune automobiliste vexé de me voir sur le bord de la route, est venu à
coup de poings et de pieds tester mon équilibre qui a très vite montré ses limites et me
suis donc retrouvé projeté dans les graviers toutefois sans gros dommages. Aussitôt
soigné par les pompiers, déposé plainte auprès de la gendarmerie et perdu un peu plus
d’une bonne heure, j’ai pu terminer mon étape. Et, à partir de ce jour chaque jour, je
terminais mes étapes, parfois au terme de 10 heures de marche quand ce n’était pas 12
voir 15 heures de marche quasi ininterrompue.

Sur toute la côte Ouest de la NC, ce furent de longues longues lignes droite d’une
marche que certains pourraient qualifier de fastidieuses. Mais, aussi éprouvantes furent
elles jamais je ne les ai trouvées fastidieuses. Sur cette longue route très fréquentées par
les voitures et très très peu par les piétons, je me retrouvait très souvent seul, tout seul.
Entre Koumac et Plum ville du Nord de l’île, ce fut toute une journée de pluie.
Puis, pour passer sur la côte Ets, une piste « la forêt des dunes » longeant l’embouchure
du plus long fleuve de NC : le (Diahot) où il fallut bien souvent patauger dans des
bourbiers m’arrivant parfois à mi-cuisses, pour arriver à Ouégoa à 21H30, et dormir
dans un fourgon..
Ce n’est qu’à partir de là, donc du dixième jour, que mon corps commença à être rôdé,
adapté au sac à dos, que je commençais à me sentir dans le mouv, les ampoules se
faisant plus rares aux pieds, je gérais la permanente morsure des pieds par le bitume
en les massant quatre à cinq fois par jour .

Au 12e jour, alors que je devais gravir le mont Panié (sommet culminant à 1628m,
j’arrivais chez le guide à 7H comme convenu, il m’annonce qu’il ne peut pas
m’accompagner. Je restais donc sur le bitume et levais un peu le pied sur les trois jours
suivants, n’effectuant que 120Km.
Puis le 15e jour à 5H, je suis parti de hienghène (côte Est) pour traverser la chaîne et
me retrouver le lendemain sur la côte Ouest. Vers les 17h que j’atteignis les sommets
avant parcourir les plateaux en altitude puis après deux heures commencer à
descendre. C’est un de mes jours six plus longs jours de marche (mon hôte l’estimait à
70 Km) et je pense que je n’en étais pas loin. Aussi le lendemain je me contentais d’une
quarantaine de Km.

Le 17e jour Alors que je souhaitais me rendre dans la tribu la plus haute de Nouvelle
Calédonie, j’ai arpenté une piste qui n’a peut être vu que moi ce jour là sans rencontrer
âme qui vive, autre que quelques cochons sauvages, mais ont-ils une âme ? Vers 14H30,
me rendant compte que je m’étais égaré, j’ai rebroussé chemin, pour arriver sur la
route vers 20H30. Là j’ai appelé mes hôtes du soir, qui sont venus me chercher.
C’est un peu fastidieux de raconter ainsi au jour le jour d’autant que peu d’entre vous
connaissent le terrain. Alors je vais peut-être abréger.
Donc , je ne cessais de passer de la côte Est à l’ouest et inversement. De ce fait à chaque
fois il faut franchir la « chaîne » chaîne de montagne qui telle une épine dorsale longe la
Nouvelle Calédonie du Sud au Nord. Ainsi j’ai franchi tous les cols de Nouvelle
Calédonie qui sont nombreux : Il y a le Col de la pirogue, celui du Bonhomme , de Poya,
d’Amos, d’Amieu, celui du Tango le Col Rouge, Le Pétchicara, Celui de Nasirha, de
Bogen et d’autres encore . Me disant même que le premier col que j’ai franchi il y a près
de mil an, alors que j’étais une être unicellulaire, c’était celui de l’utérus, et parfois me
reviennent à la mémoire la lutte terrible que ce fut, pour être, et le premier et l’élu.
Depuis plus aucun col ne me fait peur, il est vrai aussi que mes cellules se sont ô combien
multipliées et que le temps a passé, et comment.

Comme je passais ainsi des longues routes droites et immenses plateaux de l’Ouest à la
fraîcheur des massifs de la chaîne avec leurs forêts à n’en plus finir, leurs cols qui n’en
finissaient pas de monter puis descendre avant de remonter un peu plus, aux immenses
baies de l’Est qui définissaient la sinuosité et le pittoresque de la route me conduisant de
la fraîcheur parfois très humides des vallées à la rugosité des maquis miniers. Il en fut
ainsi aussi au niveau de la pensée qui se maintenait constamment en élévation soit à
divaguer dans ces espaces grandioses, soit dans d’autres sphères non moins grandioses
mais inaccessibles aux sens, soit prenait le fil d’une idée ou d’un texte pour s’y fixer
quelques temps avant de décrocher et de se laisser aller dans une errance voire même
parfois en déshérence totale ; pour ensuite venir se blottir entre la plante de mes pieds
et mes klakettes (savates 2 doigts en NC), à me parler si fortement que je me devais me
reposer pour la libérer et la rendre à des occupations plus divertissantes.

C’est ainsi
qu’elle m’amenait à l’un d’entre vous à me remémorer ces instants si nombreux que
nous avons partagés. Ou bien encore à d’autres personnes, comme mon père ma mère et
d’autres encore plus anciens. Et parfois même avec des ancêtres qui n’ont pas eu
l’immense privilège de me connaître. Et puis, il y a eu aussi une cohorte d’ombres qui
était là présente en permanente avec moi à me pousser à me tirer à me masser les
muscles qui jamais n’ont eu à souffrir de crampes ou autres petites misères, à éveiller
ma vigilance face à l’hydratation de mes cellules (clé de la préservation des muscles
tendons et ligaments), face à l’hygiène corporelle et vestimentaire, se laver le plus
souvent possible pour évacuer l’acidité agressive de la transpiration sur la peau, limiter
ainsi les zones d’échauffement.
En fait de marcher ainsi pendant des jours et des jours à n’avoir comme seule
préoccupation que la r(é)(ai)sonance de ses pas vous met hors du temps et hors de
l’espace. C’est un voyage interplanétaire ,

Il y a eu des moments de fatigue certes, mais aussi des moments d’extase, des moments
ou l’on se trouve dans des paysages qui vous ravissent l’âme et vous font oublier toutes
les fatigues du monde. Celles des moments où on ne voit pas le bout ; celles où harassé de
fatigue, les pieds en compote, il faut continuer à avancer en se gardant bien de ne pas
serrer les dents pour ne pas les éclater, et puis sachant que le pas de course allège la
plante des pieds, changer de pas toutes les trois minutes. Et arriver au terme de l’étape
fourbu. Alors, presque toute la fatigue se fane, et la douche, la lessive, le massage des
pieds deviennent un rite auquel jamais l’on ne se soustrait.
Il est vrais que comme je m’étais allié à la ligue contre le cancer pour cette aventure, j’ai
eu droit plus facilement aux médias, et comme un peu après mon départ je suis passé à
la télévision, les gens des tribus entre autres, me reconnaissaient et m’invitaient
facilement pour prendre le café, ce qui est un prétexte pour parler de mon aventure. Le
partenariat avec la ligue m’a permis aussi, la plupart du temps de bénéficier de
l’hospitalité des gens certains vulgaires disent « taper l’incruste ».

Tout au long de mon parcours, j’ai rencontré des gens très sympas.
En plus d’une gastro, entre 1e 15e et 18e jour, j’ai aussi eu droit à un furoncle sur
l’arrière du talon, qui a dû être incisé au 24e jour de marche et qui entre autres bonnes
raisons ou mauvais prétextes m’ont amené à renoncer à gravir le deuxième dominant de
NC, le Mont Humbolt (1616m). Avec le recul raison ou prétextes le choix était judicieux.
Revenu dans le Sud de l’île, j’allais très bien lorsque au 29e jour j’entrepris à 5H du mat
le sentier de montagne GR1 de NC ( en compagnie de Denis Capron qui a marché avec
moi pendant 5h30) . Les ascensions et descentes de ce GR ont changé l’effort des muscles
pendant 1 jour et demi, après quoi j’ai commencé à sentir des douleurs aux genoux. A la
fin du 31e jour, revenu sur le goudron le genou gauche a demandé pardon et n’a plus
voulu repartir au 32e jour, m’ôtant tous les honneurs. Ce qui d’un certain point de vue
peut être râlant. Mais d’un autre point de vue ce sont tout de même tous les moments de
bonheur, voire d’extase reçus et vécus au long de ce parcours qui sont les plus
importants.

Tour de la Nouvelle Calédonie à pied : récit d’un KAF YAB
Remise d’une coupe à l’arrivée.

Cet arrêt prématuré, loin d’être un échec , me donnera un bon prétexte pour me lancer
dans une nouvelle aventure l’année prochaine. Ce sera donc pour un tour plus complet
que je me lancerais sur les routes et sentes de Nouvelle Calédonie du 10 mai au 20 juin
2012. Ci-dessous l’itinéraire revu, avec en fin de tableau et grisé, les jours non effectués.

Bien entendu, entre temps j’avais d’autres échéances
- Le marathon international de NOUMA, auquel j’ai dû renoncer.
- Mais aussi pour la fête KAF, les 24H autour de Saint Paul le 20 décembre prochain 2011

Les deux poèmes qui m’ont accompagné

Voici les deux textes principaux qui ont jalonné ce parcours depuis mon départ à la Fontaine Céleste à Nouméa, et que je disais à chaque fois que j’en avais l’occasion. Evidemment mon agresseur n’y a pas eu droit.

Le chant de l’Initié ; Léopold Sédar SENGHOR(à Alioune Diop) Nocturnes p 192 ; (poème wolof)

Pèlerinage par les routes migratrices, voyage aux sources ancestrales.

Flûte d’ébène lumineuse et lisse, transperce les brouillards de ma mémoire

O flûte ! les brouillards, pagnes sur son sommeil sur son visage originel.

O chante la lumière élémentale et chante le silence qui annonce

Le gong d’ivoire du soleil-levant, clarté sur ma mémoire enténébrée

Lumière sur les collines jumelles, sur la courbe mélodieuse et ses joues.

Je m’assis sous la paix d’un caïcedrat, dans l’odeur du troupeau et du miel fauve.

Soleil de son sourire ! et la rosée brillait sur l’herbe indigo de ses lèvres.

Les colibris striquaient, fleurs aériennes, la grâce indicible de son discours

Les martins pêcheurs plongeaient dans ses yeux en fulgurances bleu natif de joie

Par les rizières ruisselantes, ses cils bruissaient rythmiques dans l’air transparent

Et j’écoute l’heure ô délices ! qui monte au mitan blanc du ciel que l’on pavoise.

Les troupeaux bientôt seront immobiles et le roucoulement des tourterelles

A l’ombre de Midi. Mais il faut me lever pour poursuivre le pur de ma passion.

O trompe à mon secours ! Je me suis égaré par la forêt de ses cheveux

Trompe sous ta patine noire, ivoire patiemment mûrie dans la boue noire.

Je glisse sur le pas des pachydermes, sur les ponts savonneux de ses énigmes.

Comment dénouer les ruses des lianes, apaiser les sifflements des serpents ?

Et de nouveau l’appel blessé, mais seule une sirène sinistre répond

De nouveau l’appel qui lamente, mais seuls me répondent des cris d’oiseaux muets

Comme d’enfants que l’on égorge dans la nuit, et la fuite des singes rouges.

Les tsétsés et froufrous taraudent mon angoisse, et je sue et tremble de froid.

Mais le répons de son chant clair en la clairière est le réconfort qui me guide

Mais les senteurs des fleurs remémorées, dont je me baignerais dans les cris d’allégresse.

Or vert de son teint plus doux que le cuivre, fût lisse de son âme épanouie

Dans le soleil et l’alizé, bouquets de palmes au dessus des peurs primaires

O forêt ancienne pistes perdues, entendez le chant blanc du pèlerin

Par-delà les marais putrides des entrailles, la liberté de la savane

Savane noire comme moi, feu de la mort qui prépare la re-naissance

Re-naissance du sens et de l’esprit. Puis l’or blanc des sables sous la lumière

Où consument mes appétences, dans la vibration pure et l’espace fervent.

Mais chante à mes oreilles complaisantes le mirage des oasis

Mais m’assaille la tentation des brumes sèches, qui veulent oppresser ma foi.

Ah ! que sonnent vif les cloches jumelles ! que gronde le tambour des initiés !

Car circoncis je franchirais l’épreuve : les flammes de mille adéras

Me guideront le long des pistes franches, cierges sur la route du sanctuaire

Me guidera de nouveau son parfum, l’odeur de la gomme dans l’harmattan…


Partir ; extrait cahier d’un retour au pays natal ( p20 à 22)

Partir.. Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif.. Un homme-cafre.. Un homme-hindou –de-Calcutta

Un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

L’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture on pouvait à n’importe quel moment le saisir, le rouer de coups, le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir de comptes à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne

Un homme-juif.. Un homme-pogrom.. Un chiot.. Un mendigot

Mais qu’est-ce qu’on tue le remords, beau comme la face de stupeur d’une dame anglaise qui trouverait dans sa soupière un crâne de hottentot ?

Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les pluies, humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l’œil des mots en chevaux fous en enfants frais en cailloux en couvre-feu en vestiges de temple en pierres précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre.

Et vous fantômes montez bleus de chimie d’une forêt de bêtes traquées de machines tordues d’un jujubier de chairs pourries d’un panier d’huîtres d’yeux d’un lacis de lanières découpées dans le beau sisal d’une peau d’homme j’aurais des mots assez vastes pour vous contenir et toi

Terre tendue terre saoule .. Terre grand sexe levé vers le soleil.. Terre grand délire de la mentule de Dieu.. Terre sauvage montée des resserres de la mer avec dans la bouche une touffe de cécropies

Terre dont je ne puis comparer la face houleuse qu’à la forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir en guise de visage montrer aux yeux indéchiffreurs des hommes il me suffirait d’une gorgée de ton lait jiculi pour qu’en toi je découvre toujours à même distance de mirage – mille fois plus natale et dorée d’un soleil qui n’entame nul prisme – la terre ou tout est libre et fraternel, ma terre

Partir. Mon cœur bruissait de générosités emphatiques. Partir…J’arriverai lisse et jeune dans ce pays mien et je dirai à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J ‘ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies. »

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais « Embrassez moi sans crainte… Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai. »

Et je lui dirais encore :

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »

Et venant je me dirais à moi même :

« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleur n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse… »

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