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Regard sur l’actualité - Peggy Maillot : l’Italie après Berlusconi

Publié le 28 novembre 2011

Originaire de Cilaos, Peggy vit en Italie depuis 1998. Secrétaire dans une entreprise du Piémont, elle partage la vie et les fins de mois difficiles de beaucoup d’Italiens. Elle dresse, à 36 ans, le portrait sans concession d’un pays en prise avec la corruption et l’économie parallèle.

peggy maillot

Pouvez-vous vous présenter svp ?

Je suis secrétaire dans une entreprise chimique de la vallée du Po dans le Piémont, Province d’Alexandrie. Originaire de Cilaos de père et de mère - et depuis pas mal de générations – j’ai toujours vécu dans la ville de Novi Ligure, la capitale du chocolat !

Quel est votre réaction sur les récentes élections qui ont vu la démission de S. Berlusconi ?

Que ce soit untel ou untel malheureusement, j’ai l’impression que cela changera peu de choses. Mais ce qui est sur, c’est que les Italiens ont compris que le spectacle est fini ! Les gens ici rêvent de paillettes, et "il Berlusca" l’avait bien compris. Il leur en a mis plein les yeux, non seulement lui, mais ses "collaborateurs". En ce qui concerne M. Monti, cela va être dur pour lui de passer après Berlusconi et en pleine période de crise. L’Italie souffre en silence mais ne veut pas le faire savoir, car paraître est le mot maître, et le pouvoir c’est l’argent. A force de payer au noir et d’accepter l’économie parallèle (ici c’est la règle surtout pour les soins médicaux), les Italiens ont oublié que les caisses publiques sont vides.

Comment le nouveau gouvernement est-il perçu dans votre entourage ?

M. Monti reflète une image beaucoup plus austère, sans artifices, et des positions plus concrètes que son prédécesseur. Son entourage est plus discret. Passer après une personne qui en jetait plein les yeux et qui faisait croire jusqu’à hier que tout allait bien, cela peut laisser les gens sceptiques. Les premiers changements proposés, très restrictifs (comme porter la TVA à 23%) font que beaucoup le voient d’un mauvais œil. Comme partout je suppose, on en a assez de payer pour les riches, car même si M. Monti à l’air plus humble, il fait quand même partie de l’élite du pays. Donc ses débuts sont contestés... Mais on ne change pas le monde en un jour !

A quoi ressemble la vie quotidienne en Italie ?

Pour beaucoup, c’est la peur au ventre de perdre son emploi ou de ne plus arriver au 10 du mois. Dans mon cas, qui est aussi celui de mon entourage :
- Un moyen de transport dans le foyer, donc on s’arrange tous les jours, et les déplacements se font le plus souvent à pied (comme dan tan lontan !).
- La crèche hors de prix et de toute manière non accessible car peu de places. Ma fille est chez ses grands-parents toute la journée (j’ai de la chance car ils sont à la retraite).
- Un salaire ne suffit plus. On a la chance de travailler tous les deux mon compagnon et moi, mais nous n’avons pas de sorties sauf balades à pied, nous bricolons à la maison, nous ne jetons rien ou presque, les vacances sont chez ma mère en métropole. Pour avoir des soins corrects, il faut payer, et sans factures SVP....
 
Il est vrai qu’à l’heure actuelle on vit beaucoup dans le superflu. Donc je me dis qu’on peut vivre simplement et qu’on ne devrait pas se plaindre. Plus jeune nous vivions ma famille et moi très modestement. Pour moi c’est la normalité. Je me dis qu’un ciné ou un resto de temps en temps me feraient plaisir, mais on peut s’en passer.

Qu’est-ce qui vous marque le plus chez les Italiens ?

Je reviens sur le coté apparences : les Italiens "doivent" montrer qu’ils sont « plus que »... S’habiller de marques prestigieuses (qui sont prestigieuse seulement car il y a des imbéciles qui les achètent), avoir la voiture la plus puissante quitte à s’endetter pour des années, avoir le meilleur portable sur le marché... La principale préoccupation cependant est d’aller au sport tous les jours, pas pour faire du sport mais pour s’y faire voir et lancer des « ladi lafé ». L’apéritif reste aussi un must-do, rien de plus sacré, même chez les ados... Et j’allais oublier le foot ! Il y aurait la révolution si on enlevait le foot de la télé. Tant qu’il y a le foot, tout va bien !

On dit souvent que les Italiens sont très « famille ».

Ici l’enfant est sacré certes, mais il n’y a qu’un enfant voire aucun chez les couples actuels. C’est trop embêtant, car après on n’a pas le temps d’aller faire son heure de sport ou d’aller chez le coiffeur. Beaucoup les "garent" chez leurs parents. Les enfants ici connaissent malheureusement mieux leurs grands-parents que leurs parents. Cela fait un petit moment que je ne suis plus allé à la Réunion (2007), mais j’espère que ça ne deviendra pas comme ici !

Comment voyez-vous l’évolution de l’Italie dans les prochaines années ?

Très noire, mais pas seulement ici, partout dans le monde. Plus on se laissera gouverner par des charlatans avides de pouvoir et d’argent, plus le gouffre s’élargira. Faire de la politique est un métier ? Non, la politique est la représentation du peuple. On devrait faire comme dans les pays scandinaves : ne pas les payer, et aucun avantages à la clé. Ici un "porte-document" gagne 1500€. En quoi cela consiste ? Amener un document d’un politique à un autre, une à deux fois par mois... Mais vous me direz que cela a toujours existé. Les mentalités ont du mal à changer. Il faudrait s’occuper des jeunes, mais c’est mal parti quand on regarde la situation du système scolaire. Ce qui me fait un peu plus réfléchir, c’est le futur de ma fille. J’espère qu’elle grandira sereinement.

Article publié dans Le Quotidien du 27 novembre 2011

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