Publicité

Michel Saad : un Libanais de la Réunion témoigne

Publié le 22 janvier 2012

Mathématicien et écrivain installé à la Réunion depuis 1972, Michel Saad rentre au Liban tous les deux ou trois ans. Alors que la révolte secoue la Syrie voisine depuis plusieurs mois, il décrit un Liban épuisé par les guerres, mais solidement attaché à ses bases multiconfessionnelles.

Michel et Audrey Saad
Michel Saad aux côtés de sa fille, la célèbre comédienne Audrey Saad

Quel est votre parcours personnel ?

Né dans la Montagne du Liban en 1943, j’ai été parmi les premiers Libanais arrivés à la Réunion, en 1972. Je devais rentrer au pays en 1975, mais la guerre de 15 ans venait d’éclater entre les diverses communautés ; elle m’a retenu dans l’île jusqu’à la fin des hostilités. Je ne considère pas ces années comme un exil, puisque très accueillante, la Réunion a été ma nouvelle patrie. Mais comme tous les émigrés Libanais je reste attaché à mon pays d’origine, d’autant que mes frères et sœurs y vivent encore avec leurs familles. Je leur rends visite tous les deux ou trois ans.

A quoi ressemble votre village de naissance aujourd’hui ?

Ma pensée va aux paysans, qui ne le sont malheureusement plus, car la guerre les a disséminés à travers le globe. Ils étaient heureux avant la guerre avec leurs champs, leurs vaches, leurs poules… Je cite une passage de mon ouvrage Les tourments du cèdre : « Qu’ont demandé au ciel ces paysans de la Montagne, sinon un regard de soleil, une manne de pluie, un air de santé ?… Qui a désiré des armes, des mines, des bombes ?… Pour qui ? Pour quoi ? Pour chasser qui de chez qui ?... » Les jeunes ont quitté le village pour la ville, vivotant de petits boulots. Ils y retournent de temps en temps pour pique-niquer ou cueillir des fruits. Leurs maisons restent inachevées pour manque d’aide du gouvernement, ce qui donne à mon village un aspect fantomatique. La guerre a eu raison de leurs terres et de leurs biens, mais ils continuent à jurer qu’ils auront le dessus.

Selon vous qu’est ce qui définit le peuple libanais ?

Il est difficile de décrire ce pays tant il est pluriel. Avec ses 18 religions, le peuple libanais est multiconfessionnel, mais il n’est pas multitribal. C’est un extrait vivant des civilisations passées sur son territoire à travers l’histoire : les Hittites, les Assyriens, les Mongols, les Perses, les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Arabes, les Ottomans, et d’autres… Chaque Libanais se sent imprégné de toutes ces civilisations. Depuis sa création, le Liban est un pays démocratique. En temps normal, le mandat présidentiel ne dure que quatre ans. C’est pourquoi il ne peut théoriquement y avoir ni despote, ni dictateur. C’est pourquoi le Liban n’a pas connu de « printemps arabe ».

Qu’est-ce qui fait que chrétiens et musulmans peuvent cohabiter dans ce pays ?

Aux dires du Christ, les chrétiens sont le « sel de la terre » : ils forment le ciment d’unification multiconfessionnelle du pays. Dans les villes et les villages, ils vivent en parfaite harmonie avec les druzes, les sunnites et les chiites, alors que ces derniers rechignent à cohabiter côte à côte. En 1975, quand la guerre civile a éclaté au Liban, il n’est venu à l’esprit de personne de partager le pays entre communautés comme il a été fait à Chypre à cette même période. C’est que la purification ethnique n’est pas le slogan d’un peuple qui porte en lui toutes les civilisations.

Quelles sont les ressemblances entre la Réunion et le Liban ?

Comme la Réunion regroupe toutes les couleurs de la terre, le Liban regroupe toutes les confessions. Lors de mon dernier voyage en 2009, le maire de mon village a organisé une réception en mon honneur pour présenter mes ouvrages aux habitants de la région, druzes et chrétiens confondus. Un journaliste m’a demandé ce que je pensais de la cohabitation multiconfessionnelle au Liban. Je lui ai dit que je préférais commencer par la cohabitation multiethnique de la Réunion. Mettant en avant la vie paisible dans l’île et la tolérance inter communautaire, j’ai émis le souhait que les Libanais suivent l’exemple Réunionnais.

Article publié dans Le Quotidien du 22 janvier 2012

Lire aussi : Ameylia Wu Saad, chanteuse lyrique et harpiste

Publicité