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Luc Véchot, Maître de conférence à Texas A&M University au Qatar

Publié le 10 avril 2012

Originaire d’une famille modeste du Port, Luc a gravi les échelons pour devenir à 31 ans, enseignant chercheur dans une université prestigieuse de Doha, capitale du Qatar. Tout en expliquant sa réussite par l’efficacité du système éducatif français, il incite la jeunesse réunionnaise à se dépasser et à découvrir le monde.

Luc Véchot, Maître de conférence à Texas A&M University au Qatar
Ma femme, Jessica (tantine le Port et Research Specialist à Weill Cornell Medical College Qatar), et moi lors de la cérémonie de remise des diplômes de mes élèves de Texas A&M University at Qatar.

D’où êtes vous à la Réunion ?

J’ai grandi au Port dans une famille de cinq enfants très modeste de la Rivière des Galets. Par très modeste, je veux dire au dessous du seuil de pauvreté. J’ai été élevé en grande partie grâce aux aides sociales. Bref la vie n’était pas rose. Heureusement qu’en France donc à la Réunion, on peut aller à l’école gratuitement.

Dans quelles conditions avez-vous été amené à quitter l’île ?

J’ai quitté la Réunion en 2000, après avoir obtenu un Deug IUP Biotechnologie et Bio-industrie et un Deug STI Génie des Procédés à l’Université de la Réunion. J’ai été aidé par le CROUS et la Région Réunion. J’avais surtout envie de m’en sortir et de casser le cycle de pauvreté dans lequel j’avais grandi. Je suis donc parti la tête pleine de doutes et pleine de rêves flous, mais surtout la rage au ventre. Dans ma valise, j’avais la petite casserole de ma grand mère, des petits objets en bois de tamarins sculptés par mon père, un van’ pour tri de riz ou pluch’ l’ail et un kayamb. Ces objets m’ont suivi, me suivent et me suivront toujours.

Quel a été votre parcours ?

Je suis d’abord allé à Lyon pendant trois ans pour étudier à l’Université Claude Bernard. J’y ai obtenu un DEA de Génie des Procédés. L’adaptation n’a pas été très facile... J’ai dû pendant ces années faire face au complexe d’infériorité associé à mon milieu social. Mais je n’avais rien à perdre. J’ai beaucoup travaillé, à en être malade et je me suis fait remarquer par des professeurs à la fac qui m’ont pris sous leur aile et m’ont donné l’opportunité de leur prouver ce que je savais faire et combien j’en voulais. Cela a payé et j’ai été recruté à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Étienne pour y préparer une thèse de Doctorat en Génie des Procédés pendant trois années. J’ai beaucoup pensé aux miens et surtout à mon père le jour où j’ai obtenu mon Doctorat en décembre 2006 avec mention Très Honorable et les Félicitations du Jury.

Et ensuite ?

J’ai eu envie de voir ailleurs et de découvrir le monde. J’ai décidé de partir en Angleterre parce que je ne parlais pas anglais et que ma femme voulait découvrir ce pays aussi. J’ai décroché mon premier emploi en tant qu’ingénieur de Recherche en Génie Chimique spécialisé en Sureté des Procédés au Health & Safety Laboratory à Buxton, près de Manchester. J’y ai passé trois ans et demi avec mon épouse (tantine le Port aussi d’ailleurs). J’ai beaucoup aimé ce pays, je m’y sentais très bien. Puis j’ai eu besoin d’un nouveau challenge.

Qu’avez-vous fait ?

En septembre 2010, j’ai quitté l’Angleterre. J’ai décroché un poste de maître de Conférence à l’Université Texas A&M au Qatar. Il s’agit d’une Université Américaine (College Station, Texas) qui a implantée une branche au Qatar depuis 2003. Je travaille dans le Département Chemical Engineering où j’enseigne la Sureté des Procédés aux étudiants de Licence et Master. Je dirige en parallèle une équipe de recherche qui travaille entre autres sur les risques associés aux pertes de confinement de gaz naturel liquéfié et aux dangers de la réaction chimique.

Quels sont vos projets ?

Continuer à poursuivre mes rêves, car c’est comme ça qu’on avance. J’aimerais bien continuer à travailler dans le milieu universitaire, car je crois en l’éducation. Quant au lieu, je n’en sais rien et c’est tant mieux : peut-être dans un autre pays étranger après le Qatar. Ou alors, rentrer à la Réunion ! Seul l’avenir le dira.

Que vous apporte cette expérience de mobilité ?

J’ai appris que peu importe l’endroit et le milieu d’où l’on vient, l’école, le savoir, le travail, la volonté avec une bonne dose de rêves peuvent nous ouvrir bien des portes. J’ai appris que des gens intelligents, il y en a partout même dans les milieux défavorisés.
J’ai appris à m’ouvrir sur d’autres cultures et à aimer d’autres choses que ce que j’ai toujours connu. J’ai appris que l’hiver, la pluie, la grisaille sont des obstacles surmontables. Ce sont les gens qu’on rencontre qui font la beauté d’un endroit, pas la météo.
J’ai appris qu’ailleurs on est fier de sa culture, de sa langue d’origine (le créole pour moi).
Enfin, surtout au Qatar, je me suis rendu compte que l’accès gratuit à l’éducation, comme c’est le cas à la Réunion, est un luxe et une chance inouïe.

Luc Véchot
A Zekreet - Qatar.

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

Je n’ai pas eu d’inconvénients majeurs, sauf qu’en arrivant en France, on considérait que j’avais eu un « diplôme plage », qu’à la Réunion « on se la coule douce », etc. Mais tous ces clichés stupides disparaissent rapidement. Le plus gros inconvénient était mon regard sur moi même. J’ai souffert d’un complexe d’infériorité dû au milieu social et au syndrome « Goyave de France ».
Quant aux coté positifs il y en a plusieurs. On s’adapte partout. On a le contact facile et on n’a pas de préjugés sur la religion, la couleur, etc. Il n’y a rien de tel pour sympathiser avec quelqu’un (même quelqu’un d’important) que de parler de là d’où on vient. Souvent la Réunion fascine. Sa culture, sa « batarsité » sont de véritables atouts.

Qu’est-ce qui vous manque de la Réunion ?

Mes parents, mes sœurs, ma belle famille, la fête, la bière dodo, désord’, bouchon porc/combava, manger papa momon, la plage, Mafate, la diversité, le métissage, entendre les enfants parler créole… Bref La Réunion.

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de l’île ?

La situation n’est pas très bonne, tout comme en Europe. Le taux de chômage est affolant. Mais l’île a de précieuses ressources humaines. Les jeunes de ma génération ont pu voyager et se former. Encore faut-il que ces personnes accèdent à des postes clés dans l’île...
La Réunion a surtout un formidable potentiel touristique et de quoi faire aussi bien voire mieux que l’île Maurice. Je pense que beaucoup reste à faire ce niveau. Je me suis rendu compte que la Réunion n’est connue essentiellement qu’en France (un peu en Allemagne et en Hollande). En Angleterre, en trois ans et demi, le nombre de personnes rencontrées qui connaissaient la Réunion se compte sur les doigts d’une main. Quand je me présente, je suis obligé de situer la Réunion par rapport à Maurice que tout le monde connaît.

La Réunion est-elle connue au Qatar ?

Personne n’a jamais entendu parler de cet endroit. Personne n’a jamais su qu’il y avait une île à coté de l’île Maurice (qui est bien connue). C’est avec une grande fierté que je parle de La Réunion.

Vous même, quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

Le Qatar est un pays de contrastes. Je suis entouré de gens très pauvres (Philippins, Indiens, Népalais, Sri-Lankais…) qui ont quitté femme (ou mari) et enfants pour venir travailler au Qatar et leur envoyer un peu d’argent. Ces gens ont du mal à croire qu’il existe en France un système éducatif gratuit qui permet à des pauvres de s’en sortir. Ils rêvent de pouvoir s’éduquer mais c’est très difficile car il faut payer ! A coté de cela, il y a les Qataris et les occidentaux pour qui ils travaillent. Ceux là peuvent tout s’offrir parce qu’ils sont riches ou nés riches. A l’université je peux voir dans le parking étudiant des « Porsche Cayenne » appartenant à des gamins de 18 ans. Beaucoup d’entre eux ne réalisent pas qu’ils vivent dans un luxe absolu. Le Qatar est un pays très riche qui côtoie la pauvreté. Je me demande ce que sera ce pays dans quelques années. (lire l’interview "Pays le plus riche du monde : un Réunionnais témoigne")

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Réunionnais.

Je répondrais à cette question par deux citations.
« Fais de ta vie un rêve, et de ton rêve une réalité » (Saint Exupéry). 
« Votre temps est limité, ne le gâchez pas en menant une existence qui n’est pas la vôtre. Ne soyez pas prisonnier des dogmes qui obligent à vivre en obéissant à la pensée d’autrui. Ne laissez pas le brouhaha extérieur étouffer votre voix intérieure. Ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. L’un et l’autre savent ce que vous voulez réellement devenir. Le reste est secondaire. » (Steve Jobs)
Il faut rêver les gars ! Rien n’est impossible ! C’est à nous maintenant de nous prendre en main, d’y croire et d’agir. L’école c’est un formidable moyen d’y arriver. Il y a aussi d’autres moyens de réussir.
Et il ne faut pas hésiter à aller découvrir le monde. Même si on compte faire sa vie à la Réunion, ce qui est tout à fait respectable et compréhensible (c’est quand même le plus bel endroit au monde, il faut le dire !), un petit séjour à l’étranger peut beaucoup apporter. Et il ne faut pas se limiter à la France. Le monde est tellement grand, c’est dommage de se limiter à ce qui nous est familier. N’hésitez pas à vous aventurer en dehors de votre zone de confort.

Que pensez-vous du site www.reunionnaisdumonde.com ?

Une excellente initiative ! Depuis le temps que j’attendais cela. Ça fait plaisir de lire les expériences des autres et de voir comment les jeunes Réunionnais ont évolué dans le monde entier. Je souhaiterais que le site fasse le lien entre nous et les jeunes de primaires, collèges et Lycées. J’aurais aimé voir ça quand j’étais plus jeune. Mais à mon époque, on n’avait pas ou très peu de modèles.

Lire aussi : Qatar : le pays le plus riche du monde - un Réunionnais témoigne

Le profil de Luc Vechot

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