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Regard sur la présidentielle américaine : un Réunionnais témoigne

Publié le 22 juillet 2012

Natif du Port, diplômé de l’école des Mines de Paris, Gurvan Rallon vient de décrocher un MBA de la prestigieuse Harvard aux Etats-Unis. Installé à Boston avec sa femme et ses deux enfants, il témoigne de la passion et des enjeux suscités par la présidentielle américaine opposant Barack Obama à Mitt Romney. Interview de Gurvan Rallon.

Gurvan Rallon

Pouvez-vous nous raconter votre parcours en quelques mots ?

Né à la Réunion il y a 28 ans d’un père médecin et d’une mère exploitante agricole, j’ai passé mon enfance sur l’île avant de déménager à Lyon pour mon lycée et ma prépa Math-Sup Math-Spé. Mon diplôme d’ingénieur des Mines de Paris en poche en 2008, j’ai choisi de partir travailler à l’étranger. Après avoir effectué des stages aux Etats-Unis, en Angleterre et au Japon dans des domaines aussi variés que l’automobile ou la finance, je me suis orienté vers le conseil en stratégie dans le cabinet McKinsey à Dubaï. Durant deux ans, j’ai travaillé sur des problématiques de développement économique et d’infrastructure dans la région du golfe. Fort de ces expériences, j’ai intégré Harvard en 2010, et ai obtenu en mai dernier mon Master in Business Administration - MBA. Sur le plan personnel, je me suis marié il y a quatre ans, et nous avons eu deux enfants, un garçon à Dubaï, puis une fille à Boston.

Selon vous, quels sont les enjeux des prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis ?

Cette élection américaine est la première que je vis "de l’intérieur", mais elle me parait différente des précédentes, étant donnés les enjeux qu’elle comporte. Les Etats-Unis traversent en effet une crise économique sans précédent, plus longue et plus dévastatrice que la fameuse crise de 1929 déclenchée par l’effondrement de Wall Street. Depuis 2008, 3.5 millions d’emplois ont été détruits, portant le chômage au taux record de 8.1%. Le spectre d’une double récession, qui pourrait emporter 4.5 millions d’emplois supplémentaires, est aujourd’hui plus présent que jamais, avec la crise de la dette en Europe et le ralentissement économique dans certains pays émergents, Chine et Brésil en tête. A cela s’ajoutent des tensions diplomatiques en Syrie et en Iran, la lourde tache de solder la guerre en Irak, et un fort risque de fragilité dans les nouvelles démocraties arabes. A ce titre, cette élection parait décisive quant à la force des Etats-Unis en interne ainsi que sur le plan international.

Quels sont les deux choix de société qui s’affrontent à travers Obama et Romney ?

Au-delà des enjeux économiques et diplomatiques, cette élection offre un débat sur la pérennité du modèle américain et sur son devenir. Si républicains et démocrates s’accordent sur les racines du mal, les deux camps proposent des solutions radicalement opposées pour remettre le pays sur les rails. Les démocrates, emportés par le président sortant Barack Obama, proposent un modèle plus proche de celui que nous avons en France, basé notamment une couverture maladie universelle - le fameux "Obamacare"-, une régulation plus forte du monde de la finance, ou encore un contrôle plus souple de l’immigration. Les républicains, qui ont désigné après une primaire à rebondissements le candidat Mitt Romney, proposent un retour au capitalisme d’avant-crise passant par une forte réduction des dépenses de l’Etat - santé, retraites etc.-, une baisse des impôts pour les entreprises et les particuliers, ainsi qu’une dérégulation de l’économie. 

Est-ce que cette élection passionne les Américains ?

Du fait des enjeux, cette élection passionne l’Amérique. Mais au-delà des clivages traditionnels républicains/démocrates, ce sont surtout les personnalités et profils des candidats qui passionnent et divisent. Depuis son investiture à la tête du pays, Barack Obama a toujours polarisé l’opinion publique, au point de voir se créer sous son mandat le "tea party", rassemblement des ultraconservateurs du parti républicain. Ces derniers rejettent de front la politique socio-économique d’Obama, taxent ce-dernier de socialiste, et vont jusqu’a mettre en doute sa foi et sa citoyenneté ! De l’autre côté du spectre, la crise a vu naitre le mouvement des "99%", inspiré du soulèvement populaire des indignés en Europe, qui dénonce le capitalisme à outrance et l’écart grandissant entre la classe moyenne et l’élite. Mitt Romney, ancien banquier fondateur du fonds d’investissement Bain Capital, est à ce titre critiqué pour son appartenance à cette élite et à son rôle dans la délocalisation d’emplois lors de rachats d’entreprises. Cette élection passionne donc, et renforce les clivages traditionnels, mais les sondages orientent vers un match serré entre les deux candidats. Comme à chaque fois, la campagne se joue à grands renforts de spots publicitaires et de rallyes aux accents hollywoodiens coûteux dans les "swing states", les états où les indécis ne se prononcent souvent qu’en fin d’année.

Gurvan Rallon

Selon vous les Etats Unis sont ils la « meilleure démocratie du monde » ?

La notion de "meilleure démocratie du monde" me parait difficile à établir. Il me semble d’ailleurs que les pays scandinaves, modèles de stabilité, de prospérité et où les inégalités sont moins marquées, méritent davantage ce titre. La force du modèle américain repose - ou du moins reposait - sur sa capacité à permettre la réussite sociale et financière pour les plus méritants et les plus entrepreneurs, le fameux "American Dream". Ce modèle a permis à l’Amérique d’après guerre de se hisser au rang de première puissance mondiale, créant par la même occasion une très forte classe-moyenne, même parmi les minorités. Ce modèle est aujourd’hui mis en péril par la crise et la perte de compétitivité au profit des pays d’Asie ou d’Amérique Latine. Nous avons connu la même trajectoire en France avec les trente glorieuses, et nous souffrons aujourd’hui d’un manque de compétitivité similaire, que l’on ressent au travers des fermetures d’usines et d’un fort taux de chômage.

Comment comparez-vous le « modèle américain » et le « modèle français » ?

Il me semble que la France investit davantage dans les bases fondamentales d’une société que sont l’éducation, la santé et dans une certaine mesure l’infrastructure, au risque comme on le sait d’accumuler une dette colossale. Aux Etats-Unis, le rôle de l’Etat dans ces domaines est plus limité, et la réussite repose sur une mentalité d’entreprenariat et d’autonomie, que l’on retrouve dans toutes les classes sociales et parmi les minorités. Sur le plan de l’intérêt pour la chose publique, il me semble que les Américains commencent, au travers des media sociaux, à se passionner davantage pour les questions de société, tandis que les Français ont de tous temps eu un regard souvent cynique et désabusé sur l’actualité. A la vue des taux de participations aux dernières élections, il me semble cependant la France est devenue "moins démocratique" que les Etats-Unis !

Aimez-vous vivre en ce moment aux Etats-Unis ?

J’ai conscience de ne pas vivre dans l’Amérique des 99%, comme celle que j’ai récemment traversée dans le sud, pour qui la réalité est difficile : pauvreté, isolement, manque d’éducation, obésité... Mais l’Amérique qui m’a permis de faire mon MBA possède une force et une énergie incroyable, une volonté d’entreprendre sans tabous et d’aller de l’avant que je n’ai malheureusement pas encore trouvé en France. Pour moi, les Etats-Unis sont un pays facile à vivre, où tout est à portée de main et en abondance. Par ailleurs, cet endroit pousse à la réussite socioprofessionnelle, et sait la saluer lorsqu’elle sourit à qui sait y accéder. Enfin, les grandes villes comme Boston sont très cosmopolites et internationales, ce qui permet de s’enrichir des autres et de garder un regard sur le monde.

Comment voyez-vous l’évolution du pays dans les prochaines années ?

Il me semble que l’Amérique, comme l’Europe au demeurant, est à un tournant de son histoire moderne. Les rapports de force changent ; la Chine est en passe de devenir d’ici à 2020 la première puissance économique mondiale et tente de s’établir comme puissance militaire, tandis que pour la première fois cette année, la majorité des naissances aux Etats-Unis est attribuée aux minorités. Si l’on ajoute à cela le sort incertain de l’élection présidentielle, l’évolution du pays est difficile à prédire. Beaucoup croient au réveil de l’Amérique, à une capacité à se réinventer innée dans la société. Je dois avouer que j’ai un peu de mal à y croire, mais j’espère me tromper car l’Europe comme les pays émergents ont besoin d’une Amérique forte.

En tant que Réunionnais, qu’est ce qui vous paraît le plus proche / le plus éloigné dans la société américaine ?

La première similitude qui me vient à l’esprit est l’incroyable diversité culturelle et ethnique qui a façonné à la fois la société réunionnaise et la société américaine. La plus grande différence me semble être l’esprit d’entrepreneuriat sous jacent aux Etats-Unis, en partie du aux mentalités, mais également au manque de filet de sécurité sociale. Ici, toute personne en état de travailler ne peut compter que sur elle-même pour s’en sortir, l’assistanat n’a pas sa place. Beaucoup de mes amis d’Harvard non américains ont choisi de rester aux Etats-Unis pour monter ou rejoindre une start-up. Il existe ici un environnement propice à la création d’entreprises et à l’innovation, des pôles de compétitivités centrés autour d’universités prestigieuses et d’entreprises de pointe, dont j’espère la Réunion s’aura un jour s’inspirer.

Article paru dans Le Quotidien du 22 juillet 2012


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