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La Réunion et la Chine : repères historiques

Publié le 10 décembre 2012

De quand date la présence chinoise à La Réunion ? D’où venaient ces immigrants ? Quel métier exerçaient–ils à l’origine ? De la difficile intégration des premiers temps à l’ouverture d’un Consulat général de Chine et d’un Institut Confucius sur l’île dans les années 2000, Robert Gauvin trace quelques repères historiques pleins d’enseignements.

La Réunion et la Chine : repères historiques
Types d’immigrants chinois ( Album de Roussin)

De quand date la présence chinoise à La Réunion ?

Elle débute de manière anecdotique en 1760 par la mention qui est faite dans les annales de deux « femmes chinoises » à La Réunion ; elles auraient été en fait deux "esclaves affranchies"…

Plus tard, les colons sentant bien que les jours de l’esclavage sont comptés, se lancent dans l’aventure de l’engagisme. En 1843 le gouverneur Bazoche prend un arrêté autorisant l’introduction de 1000 travailleurs chinois engagés. En fait il n’y eut au début, en 1844, que 500 travailleurs engagés en provenance de Malaisie.

Cette première immigration ne connut pas un grand succès. Dès 1846 l’administration coloniale y mit un terme parce que les engagés s’étaient rebellés : « Les conditions de vie et de travail dans les plantations n’étaient pas très éloignées de celles que connurent les esclaves africains ou malgaches. La recherche de la rentabilité à tout prix étant la principale motivation des maîtres ou propriétaires des plantations » (1). Il en sera de même en 1901 pour une nouvelle tentative d’engagisme : arrivés au nombre de 812 les engagés de Fuzhou se révoltèrent et finirent par quitter l’île.

Entre temps, face à l’échec de l’engagisme, le gouverneur avait signé en 1862 l’autorisation de l’immigration libre.

Rapide bilan de l’immigration chinoise…

Si l’on veut faire un rapide bilan de l’immigration chinoise dans la deuxième partie du XIXème (engagés ou libres) on constate qu’il y avait (comme pour d’autres immigrations) un très fort déséquilibre numérique entre les sexes (pas ou peu de femmes), qu’il y eut de nombreux retours dans le pays d’origine et que ce ne fut donc pas le succès escompté. C’est au cours du 20ème siècle que la population d’origine chinoise se développera progressivement jusqu’à atteindre 3800 hommes et 530 femmes en 1940, (on estime le nombre de Réunionnais d’origine chinoise à environ 25000 personnes à l’heure actuelle.) Ce qui est loin de constituer une immigration de masse comme ce fut le cas pour les Indiens. Cette immigration, suscitée en particulier par la guerre sino-japonaise (1937-1945) et par la guerre civile (1946-1949) entre communistes et nationalistes, prendra fin en 1950 avec la fermeture de la Chine sur l’extérieur. En conclusion on peut dire avec Mr Live Yu–Sion que « la grande majorité des Chinois de La Réunion d’aujourd’hui sont des descendants de ces migrants volontaires et non des travailleurs contractuels arrivés au XIXème siècle »(2).

D’où venaient ces immigrants chinois ?

Essentiellement de deux provinces du Sud de la Chine : le Guangdong (cap. Canton) et le Fujian (cap. Fuzhou) et concerne 2 groupes : les Cantonais et les Hakkas ; les premiers se sont installés dans le Nord et l’Est de l’île, alors que les seconds se sont établis de préférence dans le Sud. Des querelles opposaient au départ les deux groupes ethniques, querelles qui n’ont pas disparu par enchantement lors de leur implantation dans l’île. D’autres différends naîtront de l’opposition entre les partisans de Mao et ceux de Tchang Kaï-Chek. Aujourd’hui l’apaisement semble l’emporter.

Quel métier exerçaient–ils à l’origine ?

Au départ on a recruté des travailleurs des champs ; d’autres étaient des pêcheurs ou des spécialistes de la soie, mais au fur et à mesure les Chinois se sont lancés dans le commerce de détail (chacun se souvient que naguère « aller chez le chinois » était synonyme d’aller à la boutique). Le choix du commerce n’en était pas réellement un : il était motivé par la nécessité de gagner sa vie.

Les Chinois ont très bien réussi dans ce domaine grâce à leur ardeur au travail (qui n’a vu les enfants des commerçants chinois aidant leurs parents dans la boutique ?) et à leur sens du commerce (la création du carnet de boutique permettait aux clients de vivre à crédit en attendant les rentrées d’argent irrégulières (coupe de la canne à sucre ou cuites de géranium). Et ce faisant le commerçant fidélisait sa clientèle.

Du dénigrement au préjugé favorable…

Il suffit de se replonger dans les écrits du milieu du 19ème siècle : journaux, Album de Roussin ou récit de Charles Buet en 1868 : « Trois mois à l’île Bourbon. Journal d’un étudiant » pour se rendre compte du dénigrement dont étaient alors l’objet les Chinois à La Réunion : les jugements à l’emporte-pièce sont la plupart du temps marqués par le mépris et la xénophobie ; on leur reproche leur âpreté au gain, voire leur malhonnêteté et l’on s’étonne qu’ils aient le mauvais esprit de ne pas accepter la plaisanterie – bien innocente ( !) – qui consiste à leur couper la tresse : « L’attachement du Chinois pour sa longue tresse est poussé jusqu’au fétichisme » écrit P. de Monforand dans le tome 3 de l’Album de Roussin.

Jusqu’au 20ème siècle les moqueries concernant l’accent des Chinois parlant le créole feront florès et une comédie de Louis Jessu, intitulée Les pèlerins de Saint-Leu tournera en ridicule Titing, le commerçant chinois, amoureux d’une jeune créole blanche qui, il faut le reconnaître, n’est pas, elle non plus, présentée sous le jour le plus favorable qui soit.

Par leur travail dans la boutique, ou à l’école pour les plus jeunes, les Chinois de La Réunion ont réussi une véritable ascension économique et sociale. Nombreux sont ceux qui depuis les années 1960–1970 ont fait des études supérieures et se sont orientés vers des professions libérales : médecins, dentistes, pharmaciens, architectes ou travaillent dans de grandes entreprises, ou sont devenus experts-comptables ou encore sont entrés dans la fonction publique comme enseignants…

La Réunion et la Chine : repères historiques
A l’intérieur d’une boutique chinoise de Saint-Denis en 2012.

Changements et valeurs traditionnelles

En un siècle environ les descendants des immigrants chinois se sont intégrés et ont joué un rôle social et économique irremplaçable dans les quartiers ; beaucoup se sont métissés ; pour la plupart ils ont perdu leur langue d’origine en acquérant le créole et le français, se sont christianisés. Cependant ils ont gardé un certain nombre de valeurs qui ont fondé leur réussite : l’ardeur au travail, le sens de la solidarité (qui a joué à plein dans les premiers temps pour l’accueil des nouveaux immigrants), le respect dû aux ancêtres qui a valeur de culte (3)… A la base de tout cela se trouve une conception du monde, un héritage philosophique marqué par le Taoïsme, le Bouddhisme et le Confucianisme.

Quand la Chine s’éveillera…

L’histoire de La Réunion a mené les descendants des immigrés chinois sur la voie de l’intégration, voire de l’assimilation, mais depuis les temps ont changé : la Chine suivant l’expression de Napoléon 1er s’est « réveillée », s’est ouverte sur le monde et a entrepris à pas de géant son développement économique ; ni l’Europe, ni les États–unis, entre autres, ne peuvent à l’heure actuelle se passer des échanges avec la Chine.

En même temps la France et par voie de conséquence La Réunion se sont ouvertes sur la Chine ; citons quelques exemples : un Consulat général de Chine (RPC) s’est ouvert à Saint-Denis ; La Réunion est devenue destination touristique agréée par la Chine ; l’enseignement du chinois se développe dans les établissements scolaires ; un institut Confucius a été créé à l’Université. Des perspectives intéressantes sont offertes au développement des échanges culturels, sportifs, économiques.

Texte et photos : Robert Gauvin - Article extrait du blog : défense patrimoine reunion974’s Blog

(1) Live Yu–Sion : « Illusion identitaire et métissage culturel chez les « Sinoi » de La Réunion », Perspectives chinoises

(2) ibidem

(3) Le culte des ancêtres a toute sa place dans les temples chinois de la Réunion, en particulier dans ceux de la rue Sainte-Anne à Saint-Denis (« temple de la Traversée heureuse » et « temple de la Prospérité Eternelle »). On y vénère Guan Di, un Général qui a incarné les vertus confucéennes ; il constitue un exemple de vie. Le personnage et le culte qui lui est consacré méritent une étude approfondie.

(4) Lectures recommandées : l’Histoire de La Réunion,Tome2 de Daniel Vaxelaire ; Éditions Orphie, 1999. Et Dictionnaire Illustré de La Réunion ; article intitulé : « Chinois ». Diffusion Culturelle de France, 1991.


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