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Regards sur la famille réunionnaise d’autrefois, par Daniel Honoré

Publié le 5 mars 2013

L’éducation parentale avait pour but la transmission des valeurs telles que le respect des autres, l’amour du travail, la politesse, la condamnation du gaspillage, l’honnêteté ainsi qu’un certain patrimoine culturel, un certain art de vivre. Car les anciens considéraient comme vraie la maxime : « Zanfan zordi, lo zonm domin ».

Un texte de Daniel Honoré, recueilli par l’Association Réunionnaise Culture et Communication (ARCC)

Daniel Honoré

Sans vouloir verser dans ce que j’appellerai la « lontanphilie » pour tenter de faire revivre le temps d’avant - un temps qui n’aurait connu que le Beau, le Bon et le Bien selon certains de ma génération - je n’hésiterai cependant pas à émettre un regret en constatant que nombre de valeurs expérimentées par 300 ans d’histoire commune et sur lesquelles nos pères et mères avaient bâti leur société, ont disparu ces dernières années ou sont en train de le faire.

Comment cela a-t-il pu se produire ? Quelle faute avons-nous commise pour n’avoir pas su transmettre cet héritage à la nouvelle génération ? Mais dans quelle mesure avons-nous pu tout de même, face aux grands bouleversements causés par l’irruption brutale des médias, l’ouverture non préparée sur le monde extérieur, jouer notre rôle de parents et de grands-parents auprès de ces enfants qui seront les adultes du XXI ème siècle ? Autant de questions qui ne feront pas l’objet esssentiel de ma communication mais qui, je l’avoue, s’imposent à moi plus souvent qu’à mon gré. Baste ! Nous ne sommes pas là pour épancher notre nostalgie. Jetons plutôt un simple regard en arrière et retrouvons-nous, par l’intermédiaire de locutions et d’expressions de notre langue créole, enfants devant ceux qui nous ont donné la vie, « noute papa-momon ». Voilà, en effet, comment nous désignions nos parents. Rappelons les vers d’une vieille chanson qui disaient :
« Kank moin lété pti, papa-momon la songn amoin ;

Zordi moin la fini gran, mi rod in fanm pou moin marié. »

On les aimait tant, ces « papa-momon » qu’ils en devenaient des « Bondié-la-tèr », surtout la mère, comme le montrent de nombreux proverbes réunionnais :

« Fanm bonpé, momon in sèl »

« In momon, bibron la zamé fini ».

Après l’amour, le sentiment qui gonflait nos jeunes coeurs, était assurément le respect. D’autres proverbes, là aussi, le vérifient :

« Réspèk sa-k la vi solèy avan ou « .

« Si moin la zir out momon, sé mon boush moin la sali. »

Ce n’est que plus tard et sous l’influence des modes venues d’ailleurs, que sont apparues les locutions « lo vié » et « la vièy ». Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, bien peu d’irrespect se cachait derrière ces mots, car, d’une part on ne les employait pas devant les personnes concernées et, d’autre part, la notion de vieillesse gardait encore son auréole de respectabilité dans la société. Jamais, en tout cas, ne nous serait venue l’envie de les appeler par leurs prénoms.

Parfois le respect que nous leur témoignions était mêlé de crainte. Ainsi nous ne devions pas mettre le nez dans les affaires des adultes :

« Kank gramoun i koz, marmay i tak la boush ».

Parce que, comme le pensait chacun d’entre nous :

« Marmay dann pagn, i amonte pa gramoun. »

Même devenus adultes, peu d’hommes osaient allumer une cigarette ou boire un « koudsèk » devant leurs parents.

La fierté aussi faisait partie de nos sentiments et rappelons que dans les familles nombreuses, on se disputait l’honneur de laver les pieds du père dans « in bandèz do-lo », le soir. Oui, on était fier de son géniteur, de son courage, de sa prestance. Il était toujours « in boug gabié », « in boug nana larpon »...

Et nos parents, comment nous voyaient-ils ? Une sentence créole affirme :

« La rishès in boug sé son zanfan ». Tout est contenu là-dedans. Nous représentions l’espoir pour ces hommes et ces femmes peu habitués à des sinécures ; ils voulaient pour nous ce à quoi ils n’avaient pas eu droit : une vie meilleure. Pour cela, de manière tacite, les parents se partageaient les responsabilités. A l’homme d’aller travailler pour rapporter le « pourkoi dan la kaz », de protéger la famille , de la faire respecter. Il était le garant d’une certaine stabilité de la famille. L’on disait souvent :

« Fanm sé soubasman la kaz ; lo zonm sé zarboutan ».

A la femme incombait la tâche d’ »okipe marmay » : c’était avant tout leur donner l’amour dont ils avaient besoin... toujours avec beaucoup de pudeur et de dignité. Cela confiait à la mère une autorité naturelle incontestée. Elle en profitait pour pourvoir à l’éducatiion des enfants.

L’éducation parentale avait pour but la transmission des valeurs telles que le respect des autres, l’amour du travail, la politesse, la condamnation du gaspillage, l’honnêteté ainsi qu’un certain patrimoine culturel, un certain art de vivre. Car les anciens considéraient comme vraie la maxime :

« Zanfan zordi, lo zonm domin ».

Dans ce rôle d’éducateurs, les parents étaient souvent aidés par les grands-parents qui avaient encore leur place dans la cellule familiale, comme les oncles et les tantes et même... et même tout le voisinage qui se sentait responsable des « marmay » et n’hésitait pas à intervenir pour les empêcher de mal agir. Les parents étaient aidés également par les institutions religieuses et surtout par l’école. Un proverbe disait d’ailleurs toute la confiance que la famille mettait dans l’école :

« Sa-k i apran pa lékol, i apran dann shemin. »

Cela sous entendait les mauvaises fréquentations de la rue pouvant causer plus tard la honte de la famille et même un mauvais fonctionnement de la société.

Signalons que le père ne se laissait pas aller à des gestes ou des paroles de tendresse, non plus, sans doute pour ne pas altérer l’image de virilité qu’il était censé se donner. Dans certains proverbes, seul l’amour de la mère est mis en relief.

« Zanfan in momon la poin défo »

« Tété in fanm lé zamé tro gro pou son ti baba. »

L’enfant apprenait très tôt à faire la différence entre son droit à l’amour, à l’éducation, à la protection et puis son devoir d’amour, de respect et d’obéissance vis à vis de ses parents.

Voilà donc le portrait de la famille que je garde dans un petit coin de ma mémoire.

Daniel Honoré -
[email protected]

Texte recueilli par l’Association Réunionnaise Culture et Communication (ARCC)


Né en 1939 à Saint-Benoît, Daniel Honoré est l’auteur de :
- Cemin Bracanot’, 1984.
- Marcéline Doub-kèr, 1988.
- Dictionnaire d’expressions créoles, 2002.
- Devinettes créoles (tome 1), 2003
- Devinettes créoles (tome 2), 2004.
- Vativien Roman en créole réunionnais 2006 (Editions K’A)
- Shemin Bra kanot en créole réunionnais 2008 (Editions K’A)
- Faisons nos contes 2009 (Editions K’A)

Lire aussi : La tradition du conte à La Réunion - danger et renouveau

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