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Tenues séga-maloya : une influence mauricienne ?

Publié le 9 novembre 2023

« Oté Marmailles, haut et jupe à fleurs d’Hibiscus vendus sur les marchés ou dans les magasins de souvenirs comme étant La tenue Séga Maloya de la Réunion, n’a rien d’identitaire de notre île... » Ce coup de gueule poussé sur la page Facebook « Tenues traditionnelles de l’île de la Réunion » relaye une opinion qui revient régulièrement sur l’influence de nos cousins mauriciens et de la mondialisation. Qu’en est-il vraiment ?

Mauriciens - Réunionnais main dans la main

Interrogée dans le magazine Muzikalité (numéro 46 de 2012), Bernadette Ladauge revient sur les origines des traditions locales (extraits) :

En tout, à La Réunion, que ce soit pour la musique, la danse, les costumes, la cuisine, les contes, etc., on a trois sources. Une source française, une source afro-malgache, et une source indienne. Dans tout ce qui est le folklore, c’est-à-dire le savoir et la tradition populaires, il y a toujours ces trois sources. Mais en ce qui concerne les danses en particulier, c’est d’abord l’Afrique et Madagascar, et ensuite la France. Au départ, le séga, c’est une danse qui est née ici à La Réunion, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le maloya.

"La danse des cafres", gravure publié dans l’Album de l’île de la Réunion par Antoine Roussin

Au 18e siècle, Tchéga ! était un cri d’encouragement dans une forme primitive du séga, qu’on a appelée séga des Noirs, et qui ressemble beaucoup à ce qu’on appelle aujourd’hui le maloya, ou maloya tradition. C’était la musique des exploitations sucrières, du temps de l’esclavage. Elle était basée sur des percussions et des cris, beaucoup d’influences malgaches et quelques mélodies d’origine française bien que les paroles, mal comprises, aient souvent été déformées.


Ce qu’on va appeler le séga créole et ses influences européennes apparaît dans la première moitié du 19e siècle. Il s’agit d’une variante du séga des Noirs, mais orchestrée, avec des violons, un piano, puis plus tard des accordéons, des cuivres, etc. Il va se développer beaucoup dans les villes et va entraîner dans son sillage un changement dans les danses locales et leur diversification : séga, quadrille, polka piké, mazurka, valse... Le séga des Noirs, lui, va rester implanté dans les exploitations sucrières et s’enrichir d’apports indiens, et survivre jusqu’à aujourd’hui sous les trois formes qu’on connaît : le maloya kabar, qui est un discours ou une complainte, le maloya festif, et le maloya cultuel. Il survit mais il est comme on sait de plus en plus confiné parce qu’avec l’urbanisation, le séga créole s’est beaucoup développé.

Tenue traditionnelle mauricienne

Et à Maurice ?

Traditionnellement en séga mauricien, les femmes portent de longues jupes et des jupons, tandis que les hommes portent des pantalons retroussés, des chemises colorées et des chapeaux de paille, rappelant la tenue de leurs ancêtres.


Comme le zouk des Antilles, le séga mauricien a profité de l’explosion de l’industrie touristique dans les années 60, dont il est devenu l’un des éléments promotionnels, l’un des premiers éléments de l’imagerie carte postale qui a mangé toute la partie populaire des cultures tropicales.


L’imagerie véhiculée par les costumes et les danses du séga contemporain relève d’un exotisme fabriqué et frelaté. On copie le carnaval de Rio, ou je ne sais quoi. On peut d’ailleurs dater précisément l’émergence de ces tenues à fleurs, légères : ce sont les tenues de plage du Club Méditerranée dans les années 70. Les tissus venaient des imprimés floraux tahitiens, et la coupe est inspirée des jupes coroles hippies et des tenues de plage qui ont été amenées à Maurice par le tourisme.

Tout ça faisait exotique, tropical, et était un atout dans l’image de marque, dans un plan global de promotion touristique. Ils ont fait leur choix, et on ne va pas refaire un cours d’histoire sur l’évolution du Séga à Maurice et à La Réunion. Toujours est-il que cette nouvelle mode, sous appellation "jupes-maloya" a eu vite fait de remplacer nos costumes traditionnels, certes d’un style moins érotico-tropical. On n’a pas fini de se battre pour remettre les pendules à l’heure, alors que tout un chacun se gargarise à qui mieux mieux de "nout tradition" et "nout l’identité".

L’image de la femme exotique vue par les Européens

Quel est le véritable costume traditionnel des musiciens et des danseurs créoles, alors ?

Il n’y a pas de costume spécifique pour la danse et pour la musique. Les costumes dépendent de l’endroit où on vit, de ses moyens financiers, et de l’occasion. La personne qui travaille en ville n’est pas vêtue comme un coupeur de canne. En revanche, quand ils vont à un mariage, ces personnes seront vêtues de la même façon.


Forcément, les danses de salon, qui par définition se dansent avec des souliers et sur un sol plat, se dansaient plus en ville et dans la bourgeoisie. Les costumes sont donc plus fins. Et encore, quand on regarde bien, au quotidien, hors occasions spéciales, la patronne et la bonne ne sont pas habillées différemment. Ce qui va changer, c’était que l’une allait être en cotonnade simple, et que l’autre allait avoir de la soie, ou du velours, etc.


Peut-on parler de costume traditionnel tout court alors ?

Oui. Un costume traditionnel, c’est la ligne générale du vêtement qu’on va retrouver de génération en génération. Ce qui fait qu’un vêtement est traditionnel, c’est son adaptation au climat. Le costume traditionnel de La Réunion, c’est la mode française créolisée. On s’habille à la française, mais on s’adapte au climat. Parce qu’entre les paysannes de France et les robes d’ici, il n’y a pas grande différence en dehors du nombre de couches et de la légèreté des tissus. Ici, on a des cotonnades venues d’Inde. Comme on est au soleil, les couleurs vont être vives et gaies, et les tissus viennent d’Inde. L’un des éléments les plus distinctifs, pour les femmes, c’est un petit chemisier à basque qui recouvre la robe. Ca date du début du peuplement.


Les hommes avaient un juste au corps, avec une basque. La chaleur et la nature de leurs travaux physiques vont les pousser à les abandonner, et ce sont les femmes qui les récupèrent. Pour revenir aux musiciens, ils étaient habillés avec le costume traditionnel, que ce soit des costumes de fête ou des costumes de tous les jours. Pour la coupe de la canne ou la pêche des bichiques ou le maloya, on est pieds nus, on a des jupes indiennes fleuries, on a le petit corsage blanc à basque, la capeline sur la tête, le « chapeau à noir »...

Visite de Jacques Chirac au stand Réunion à la Foire de Paris en 1985

« Chapeau à Noir » ?

Oui, parce que depuis le début du peuplement, les esclaves n’avaient pas le droit de porter un chapeau en feutre. Ils tressaient des chapeaux de paille, qu’on appelait des chapeaux à Noirs et qu’on a appelé capeline par la suite. D’ailleurs tout le monde en portait, même les personne libres, parce qu’il faisait trop chaud pour supporter le feutre. Ce genre de costume d’époque, il y en a des centaines et des centaines dans les lithographies de Roussin, dans tous les documents depuis les premiers temps. Les jupes des femmes sont longues, avec ou sans jupon, tablier ou culotte, mais on a une constante, c’est le corsage à basque. Il y a bien souvent un fichu et, surtout, ce qu’on appelle le paliacate, qui est un mouchoir de tête à carreaux qui tient son nom de l’étoffe importé de la ville de Pallacat en Inde, au nord de Madras. C’est de ce tissu qu’on faisait les mouchoirs de tête et les chemises des hommes, qui étaient donc à carreaux.

Années 80 à gauche - Années 2020 à droite

Le « costume traditionnel » n’est donc pas un uniforme et n’est pas figé. Non seulement le choix de ce qu’on veut porter est vaste, mais encore peut-on en donner une interprétation personnelle, comme nous le faisions dans le Groupe Folklorique de La Réunion. Donc il est inutile d’aller copier ailleurs le mélange exotique frelaté pseudo-world en vogue à l’heure actuelle. Le folklore implique une mise en scène d’éléments régionaux typiques et pittoresques. Mais quand vous faites une mise en scène frelatée en inventant des éléments pittoresques pour correspondre au fantasme des tropiques ou à une image de marque, les gens s’imaginent que ça n’est pas sérieux, ils se disent que c’est les Folies Bergères à la Bokassa, et puis c’est tout. Or ça regroupe l’ensemble des traditions régionales, c’est une part importante de notre culture.


Prestation du Groupe Folklorique de la Réunion dans Paris dans les années 80

Bernadette Ladauge fut l’une des premières à organiser le collectage d’instruments de musique, de documents écrits, de photographies et de partitions pour préserver le patrimoine culturel réunionnais. Depuis 50 ans, Bernadette Ladauge se bat pour préserver et faire vivre le folklore réunionnais, avec le Groupe Folklorique de La Réunion d’abord, en organisant la transmission du savoir ensuite, et enfin par un infatigable travail de recherche et de promotion. Elle est aussi, selon l’ethnomusicologue Jean-Pierre La Selve, la seule spécialiste des costumes traditionnels de La Réunion.

« Certains groupes folkloriques créés par d’anciens membres du Groupe Folklorique (Marie-Paule Deltour pour Canne d’eau, Jean-Max Cazanove pour les Compères Créoles, Vincent Pitou qui a repris Les Etincelles Panonnaises , Nathalie Ebrard pour Gadiamb ...), tout en reproduisant quelques modèles typiques et en respectant les codes traditionnels (tissus et ligne générale), les ont complétés et diversifiés par leurs propres recherches et leur créativité. »


+ d’infos sur : www.facebook.com/Tenuestraditionnelles974 / https://comperes-creoles.jimdofree.com/costumes / www.facebook.com/profile.php?id=100048827714756 / Filoumoris.com


Pique-nique réunionnais géant sous la Tour Eiffel (2014)
Ensemble folklorique Couleur Réunion à Castres (2017)



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