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Yvan Combeau - Départements d’Outremer : quels devenirs institutionnels ?

Publié le 7 avril 2009

Lors de son intervention sur R.F.O., Nicolas Sarkozy, après avoir évoqué les questions cruciales de l’économie et du social, a réouvert aussi le chantier institutionnel. Doit-on penser que s’engage un nouveau cycle dans l’histoire de l’Outre-mer plus de soixante années après la départementalisation ?

Article d’Yvan Combeau extrait du site du Centre de Recherche sur les sociétés de l’océan Indien (CERSOI)

Yvan Combeau

En effet, la loi du 19 mars 1946, événement fondateur, forme originale de décolonisation, décolonisation intra-française, a transformé les quatre « vieilles colonies » (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) en département. Elle s’est construite autour des thèmes de l’assimilation, de l’intégration et de l’exigence de l’égalité sociale afin de sortir de la misère coloniale. Depuis six décennies, la départementalisation a déjà connu trois principales phases.

La première a été celle de l’attente. Sous la quatrième République, les D.O.M. ont continué de vivre dans un statut à mi-chemin entre la colonie et le département et d’accumuler les retards économiques et sociaux. Les quatre îles restent alors pour reprendre l’expression d’André Blanchet (lors de son enquête pour Le Monde en 1949) des départements abandonnés. Ils sont les oubliés, les angles morts de la République.

Les décolonisations, la disparition du projet de la Communauté ouvrent une seconde phase faisant réapparaître le DOM dans le champ de la politique ultramarine française. En 1959, le premier gouvernement de la cinquième République et l’engagement gaulliste, redonnent force au projet départementaliste. Les combats institutionnels dominent les années 60 et 70 entre les partisans de l’intégration et de l’autonomie : une bipolarisation droite-gauche dominée par la question de l’autodétermination.

Avec l’élection de François Mitterrand débute la troisième phase marquée par l’acte 1 de la décentralisation et la création de quatre régions monodépartementales. C’est le temps de la naissance des exécutifs régionaux lors des scrutins de 1983 puis de la dimension européenne avec l’émergence des Régions Ultra-Périphériques (Traité de Maastricht, 1992, article 299.2).

En 2009, entrons nous dans une nouvelle phase reformatant ou dépassant la départementalisation ? Si les contextes sociaux et économiques inscrivent des situations comparables (face aux défis du chômage, du pouvoir d’achat…), le pluriel s’est très souvent installé lorsque se posaient les questions sur le devenir institutionnel. Ainsi, les débats lors de la réforme constitutionnelle de 2003 avaient fortement souligné des approches divergentes entre les élus antillais, guyanais et réunionnais.

Les prochains mois porteront-ils une reconfiguration des relations entre l’hexagone et les Outre-mers ?

Restent cependant au moins deux interrogations partagées par ces départements.

1. La première porte sur l’existence d’une Assemblée unique. Ici, la commission Balladur apportera certainement une part des réponses. Quid de la découpe du « mille-feuille territorial » ?, Quel avenir pour la proposition 260 de la commission Attali sur la disparition de l’échelon départemental ? Les conclusions de la commission impacteront directement les orientations des formations politiques levant probablement pour certaines les dernières appréhensions. Et il est vrai, que le terme, et le projet, d’Assemblée unique ne divisent plus comme au début des années 80. Aujourd’hui, l’Assemblée unique c’est autant le signe des responsabilisations qu’un élargissement potentiel des champs de compétences des politiques régionales. La récente déclaration des quatre évêques des D.O.M. souligne cette double priorité. Ajoutons que cette nouvelle construction sous-tendrait également d’éventuels changements touchant au calendrier électoral des prochaines régionales et au mode de scrutin.

2. La seconde question porte sur les formes du co-développement dans les environnements régionaux de chaque département. Elle doit conduire à approfondir les échanges sur les marges de manoeuvres, d’initiatives, données aux exécutifs régionaux pour intensifier les coopérations régionales (Amérique du Sud, Caraïbes, océan Indien).

Les Etats généraux annoncés seront ainsi l’occasion de reprendre le fil des débats menés lors des Assises des Libertés locales (octobre 2002- février 2003) sur les nouvelles formes d’actions, les positionnements, des régions dans leurs espaces géographiques et historiques.

Les prochains mois porteront-ils une reconfiguration des relations entre l’hexagone et les Outre-mers ? Les observations de l’actuel secrétaire d’Etat sur la suppression de sa propre fonction participent indubitablement à cette évolution de la gouvernance. Paradoxalement peut-être, en faisant disparaître la médiation de la rue Oudinot le gouvernement modifierait assurément la donne rendant plus visible, plus présente, l’Outre-mer dans l’ensemble national et les politiques gouvernementales.

Enfin, à l’heure des questionnements sur les futurs de la départementalisation, comment ne pas s’interroger sur les parallèles et les concordances des temps (1946-2009) dans le présent de l’actualité politique avec la situation spécifique de Mayotte. Sur cette île débute aussi un nouveau cycle. Et dans les débats réouverts sur les devenirs institutionnels ultra-marins, s’invitent assurément les conséquences du referendum du 29 Mars sur la création du 101ème département français.

Yvan Combeau, Professeur d’Histoire contemporaine, Université de la Réunion - www.centre-histoire-ocean-indien.fr

Lire aussi :

Regard historique – La Réunion en 1949, vue par un le journal Le Monde
La Réunion, une île politique - Yvan Combeau
La Réunion durant le Front populaire : encore colonie ou déjà département ?

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Spécialiste en histoire politique, Yvan Combeau enseigne à l’Université de la Réunion. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire et la politique locales, mais aussi d’une synthèse coécrite avec Philippe Nivet sur l’histoire de Paris au XXe siècle. Il vient de publier "1959, L’île de La Réunion, Une introduction à la cinquième République".

Bibliographie :

• La Réunion républicaine au XIXème siècle, l’avènement de la Seconde et de la Troisième République à La Réunion 1848.1870, La Réunion, Editions Futur Antérieur, 1997 (en collaboration avec P.Eve).
• Co.auteur, Histoire de La Réunion, De la colonie à la région, Nathan, Paris, 2000.
• La vie politique à La Réunion (1942-1963), Paris, Nathan-Sedes, 2001.
• Co-auteur, L’Histoire de La Réunion, Nathan-International, 2002
• La Réunion-Madagascar (1942-1972), Départementalisation et Indépendance, Paris, Nathan, 2002.
• La vie politique à La Réunion (1963-1983), Paris, Nathan, 2003.
• La colonie républicaine (1870-1940), (ss. dir), La Réunion, Océan Editions, 2005.
• Entre Colonie et Département, L’île de La Réunion sous la Quatrième République (1946-1958), Océan Editions, 2006.
• Une décolonisation française, La Réunion dans l’océan Indien (1942-1946), Paris, Bibliothèque Universitaire et Francophone, 2006
• L’île de La Réunion pendant le premier quinquennat (2002-2007), Editions Océan Editions, La Réunion, 2007.
• La Réunion dans l’océan Indien : De la décolonisation au XXIème siècle (ss la dir), Paris, Les Indes Savantes, 2007.
• Le vote de l’outre-mer français -Présidentielle et Législatives 2007, Paris, Quatre Chemins (diffusion Seuil), 2007.

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